Décryptage

Tribune Les Échos du 23 avril 2021 – Sauvons notre véritable réseau social : les commerces !

Troisième vague, troisième confinement. On cherche éperdument des coupables mais il n’y a finalement que des victimes. Depuis un an, ce sont des décrets qui déterminent ce qui est essentiel ou non pour notre vie, ce qui peut être vendu ou non et les commerces qui peuvent ouvrir. Notre vie est faite de choix par élimination, par défaut voire par dépit : c’est une vie de non-choix, une vie où tout se fait au nom des règles sanitaires, érigées sous forme de lois tant que nous n’aurons pas été très majoritairement vaccinés. Ce sont pour les décideurs politiques des choix souvent impossibles mais inévitables pour sauver « coûte que coûte » le maximum de vies humaines. La doctrine du « quoiqu’il en coûte » a d’ailleurs lentement disparu de la lexicologie gouvernementale, au profit d’un nombre de milliards cliniquement évoqués. Les formules de calcul se font complexes, souvent adaptées à une certaine minorité et à des cas particuliers, mais inadaptées à l’immense majorité. Le diable est dans les détails.

Catastrophe naturelle

Pourquoi toutes les entités économiques ne sont-elles pas indemnisées à hauteur de leur préjudice réel alors qu’elles sont bien confrontées à une catastrophe naturelle ? Une inondation est-elle plus grave qu’une pandémie ? Pourquoi faut-il 50% et non 49% de baisse de son chiffre d’affaires pour être indemnisé ? Pourquoi seuls les petits sont visés alors que les grands réseaux de commerce exercent le même métier ? Pourquoi le chiffre d’affaires digital (qui a ses propres coûts d’acquisition) est-il pris en compte, alors qu’à juste titre celui des livraisons et ventes à emporter a été exclu pour les restaurants.

Comment payer son loyer quand son magasin ou son réseau de magasins est fermé ? avec quel argent ? Comment a-t-on pu prévoir un « remboursement » des loyers versés aux bailleurs et non une prise en charge en amont qui éviterait un décaissement de trésorerie qu’aucun propriétaire de magasin n’est en mesure de le faire ? et pourquoi ces mêmes bailleurs devraient-ils être épargnés par la crise ? si le commerce principal est privé de chiffre d’affaires, après tout le bailleur pourrait également être privé de son loyer ? comme si les bailleurs avaient tout d’un coup un rang de séniorité dans leurs créances ! Il y a urgence à revenir dans la rationalité économique de base du fonctionnement des entreprises. Gardons en tête également que la pandémie a été la troisième lame d’un rasoir après les gilets jaunes et les grèves liées aux retraites qui les avaient déjà passablement affaiblis.

Réseau social

La rhétorique des aides semble se concentrer sur les mesures de chômage partiel, dans l’ignorance de la réalité des coûts fixes et charges de structure d’une entreprise, qui même fermée doit être gérée… Trois confinements, un couvre-feu et la fermeture des centres commerciaux est la difficile réalité ces chefs d’entreprise petits ou grands. Ce n’est pas antilibéral ni difficile d’indemniser les entreprises pour leur préjudice réel : pourquoi laisser un reste à charge si important ? comment ces chefs d’entreprises vont-ils payer ces 30% de reste à charge qui ne sont pas indemnisés ? en s’endettant ?

Si des commerces sont obligés de fermer définitivement, ce ne sera pas ce retour à la normale tant attendu. Les commerces, comme les bars ou restaurants sont bien le premier réseau social de notre pays, identitaire d’une attractivité et d’un maillage territorial forts. Sortons de l’opposition stérile entre grandes surfaces et petits magasins, entre centres commerciaux et magasins de centre-ville, entre grandes enseignes et commerces indépendants, car on oublie trop souvent qu’une grande chaine de magasins, c’est avant tout une chaine de petits commerces réunis au sein d’une même entreprise. Le commerce traditionnel ne doit pas être opposé non plus au e-commerce car les deux se complètent et se nourrissent, mais ne laissons pas non plus les pure players du e-commerce gagner la partie par KO, ou pire par forfait, si l’on n’indemnise pas correctement nos commerçants qui payent des loyers et créent des emplois dans nos villes.

Concurrence

N’oublions pas au passage les nombreux et courageux repreneurs de l’année 2020 pour qu’eux aussi puissent avoir droit au fonds de solidarité et à une juste indemnisation, puisqu’ils n’ont pas de référentiel en 2019. Il ne s’agit pas de remettre en cause des décisions prises au nom de la santé publique et d’une volonté de retour à la normale, il s’agit simplement d’éviter une distorsion de concurrence grave en laissant les uns travailler et en l’interdisant aux autres, sans qu’il y ait un rééquilibrage juste et équitable.

Arnaud Marion
23 avril 2021