Décryptage

Décryptage # 4 IHEGC – La dette des entreprises – Partie 2 – 21 octobre 2020

Décryptage IHEGC #4 – La dette des entreprises est-elle la même que la dette des États ?

PARTIE 2

L’IHEGC (Institut des Hautes Études en Gestion de Crise) est un Institut de formation spécialisé dans la formation des dirigeants et acteurs du changement à la gestion des crises et des transformations.

Nous poursuivons notre série sur le décryptage de l’actualité après le DECRYPTYAGE #1 consacré à l’acte 1 de Bridgestone.

Focus en deux parties sur la dette des États et des entreprises.

On parle de plus en plus des dettes accumulées par les États et les entreprises à la suite de cette pandémie qui a touché planétairement tous les pays.

Mais finalement, peut-on assimiler les deux dettes ? Comment ces dettes se forment-elles et surtout comment seront-elles remboursées ?

PARTIE 1 – Les États

Les États les plus développés qui peinaient à dégager des ressources financières pour réduire les inégalités, et allaient de COP21 en COP23 ou 25 pour ne surtout pas prendre de décisions financières sur les grands enjeux contemporains que sont le climat et la biodiversité, ont su avec une agilité, qu’une planche à billet n’aurait pas su imiter, créer des lignes de dettes colossales en ajoutant un simple chiffre dans leur loi de finances.

La question récurrente est : comment va-t-on rembourser ?

Curieusement cette question hante deux générations extrêmes : les seniors qui sont inquiets de se voir partir et léguer ainsi un monde invivable, et les générations Y et Z qui reprochent à leurs aînés de financer aujourd’hui les dégâts sans compter en reportant sur eux les généreuses dépenses qu’il faudra bien rembourser…

Au milieu on est davantage dans un fatalisme pragmatique…

En fait de dette, on a davantage l’impression que c’est de la monnaie qui est créée plutôt que de la dette.

Avant, on imprimait physiquement des billets, mais ça c’était avant.

Maintenant, on crée de la monnaie. Ça ne date pas d’aujourd’hui, c’est apparu avec le Quantitative Easing de la FED pour réduire l’inflation, en jouant sur le rachat des dettes par la banque centrale, puis l’Europe lasse de voir l’euro dépasser les 1,40 USD pour 1 euro s’y est convertie, la BCE achetant dans un premier temps la dette des États, puis, à l’instar de la FED, les dettes des entreprises privées

A partir du moment où les États émettent de la dette qui est aussitôt rachetée par les Banques Centrales qui n’ont pas de ressources propres à la hauteur de ces rachats, on assiste bien à une création monétaire, certes plus élaborée en apparence que l’impression de billets de banque.

L’économiste Patrick Artus ne s’y trompe pas d’ailleurs, puisqu’il dit (par relation transitive) « qu’il n’y a pas de problème de dette puisque c’est de la monnaie qui finance le déficit public ».

Jusqu’où cela sera-t-il supportable ?

Quand on est le seul dans cette situation, on s’affaiblit, Mais quand tout le monde est en crise, c’est finalement un accord tacite entre tous les États qui considèrent que cette crise vaut bien 30 à 40 % de dette supplémentaire par rapport au PIB en plus.

Et comme la dette des États n’est jamais remboursée, il n’y a finalement aucun problème puisque tout le monde est d’accord et fait la même chose.

Avant la variable d’ajustement c’était l’inflation…

Aujourd’hui la création monétaire généralisée du Japon aux États-Unis en passant par l’Europe ne crée plus d’inflation.

La variable d’ajustement c’est l’utilisation de cette monnaie dans des actifs financiers, immobiliers, dans la Tech, etc… C’est comme cela que les bulles naissent généralement.

Il est tout de même impressionnant de constater que dans le contexte de destruction de valeur généralisée, les bourses ont poursuivi leur hausse et les valeurs de la Tech ont crevé leurs plafonds, sans que celles du luxe pourtant très touchées par l’arrêt des voyages ne baisse à due proportion…

Au-delà des phénomènes de dette, et des phénomènes de bulles (les actifs financiers, l’or, l’immobilier) on voit bien que c’est l’équilibre mêmes de secteurs qui va se modifier structurellement.

Certains pans seront touchés durablement mais de façon conjoncturelle, alors que d’autres seront touchés structurellement comme l’automobile, le tourisme et les voyages, l’aéronautique et … l’immobilier de bureau qui diminuera tendanciellement de 25% en considérant que le travail concernera en moyenne 1 à 2 jours par semaine les cols blancs.

On va assister à une réallocation des ressources et à une réflexion sur la chaine de valeur au niveau des États.

La souveraineté (que l’on avait presque oubliée) est redevenue une vertu : médicaments (horreur on ne fabrique pas le Doliprane en France !), énergies (renouvelables), agriculture (pour éviter que les rayons ne se vident en cas de confinement), industrie de transformation (pour éviter de dépendre de la Chine même pour un boulon…), ….

Sans oublier la souveraineté numérique dont soudainement nous avons pris conscience : de Zoom à Teams en passant Netflix, tout est américain, toute notre vie est américaine, professionnelle ou personnelle, influencée par une culture sans histoire et réductrice, et de toute façon quand ce n’est pas américain, c’est nationalisé comme on l’a vu avec Tik Tok, ou … racheté à la loyale comme Shark Robotics racheté par Boston Dynamics.

PARTIE 2 – Les Entreprises

La capacité de rembourser ses dettes pour une entreprise est liée à la notion de « solvabilité ».

Une entreprise est-elle capable ou non de faire face au remboursement de ses dettes par la génération de sa rentabilité opérationnelle (sa marge brute d’autofinancement) ?

Est-elle aussi capable de faire face à son « passif exigible » avec son « actif disponible » ?

Dans le premier cas la rentabilité se confronte à la structure financière, alors que le second cas relève de la cessation des paiements.

La mise en place de Plans Garantis par l’État (PGE) en soutien des entreprises à l’occasion de la pandémie de COVID 19, est venue apporter de la trésorerie tout en endettant les entreprises : la destruction de valeur due à l’arrêt partiel ou total d’activité, ou bien à une moindre demande, a été financée par de l’endettement.

Généralement on contracte une dette pour créer de la valeur par de la croissance, du développement ou de la productivité, là on contracte une dette pour financer une perte d’activité.

Si d’aventure ces mêmes entreprises sont en perte pour une partie de cette année ou sont moins rentables, leurs fonds propres n’augmenteront pas voire diminueront, alors que leur endettement aura augmenté.

C’est certainement l’un des problèmes à retardement de ces PGE : moins de fonds propres, davantage d’endettement, et donc un accès futur au crédit plus resserré, ce qui par définition viendra contrarier les projets futurs de croissance et de développement.

C’est à partir de 2021 que les entreprises seront confrontées à une plus grande difficulté pour financer leurs projets en raison d’un endettement qui sera jugé trop important.

Une vague de restructurations est inévitable, et les banques seront très attentives aux signaux de reprise, de consolidation de l’activité, et à tout ce qui concernera la solvabilité et la rentabilité des entreprises.

Les grands mouvements de restructuration de dettes ont quant à eux débuté sans attendre dés le mois de juin, soit avec des plans de cession des entreprises (notamment dans le retail), soit avec des restructurations de dettes au profit des créanciers qui ont fortement dilué les actionnaires existants.

On estime, selon Les Échos, à plus de 10 milliards d’euros les dettes en cours de restructuration (2 milliards chez Europcar, 3,7 chez Vallourec, 4 milliards chez AccorInvest), sans oublier celles qui l’ont déjà été (Technicolor, Solocal, …) avant le mois de septembre.

On voit même arriver quatre mois après des entreprises comme Europcar qui avait levé pourtant 220 millions de PGE…

On voit nettement une tendance agile et très anglo-saxonnes des créanciers d’aller vite, et de monter au capital de ces entreprises par opportunité.

Les créanciers ne sont plus les banques mais des fonds qui ont racheté avec décote ces créances, car les banques sont tenues de provisionner 100% de leurs créances en cas de difficultés de leurs débiteurs : il est donc plus avantageux pour elles de céder leurs dettes avec décote et d’encaisser 60 à 80% du nominal.

La grande difficulté, c’est que ces dettes, bancaires à l’origine, sont souvent détenues par des fonds d’investissement qui convertissent une partie de leur créance pour devenir actionnaire, et contrôler l’entreprise : l’entreprise survit, mais elle est « débancarisée » et n’a plus accès au crédit, sauf à passer par des solutions de dettes extrêmement onéreuses, et il sera difficile sans un nouvel actionnaire de référence de se remettre d’une telle situation. C’est ce que vient de vivre SOLOCAL qui, alors qu’elle était profitable, n’a pas réussi à lever de PGE, et a été victime d’une trésorerie trop faible.

Le grand débat sur le remboursement des PGE n’aura pas lieu, car les dettes seront à rembourser, car elles sont sous la responsabilité des banques.

La bonne nouvelle étant que sur les 120 milliards mis à disposition des entreprises, environ 80 à 100 milliards ont été … thésaurisés.

Les plus petites entreprises, qui sont généralement les plus fragiles car les moins dotées en fonds propres, auront du mal à rembourser ces sommes, tout simplement car c’est un endettement sans contrepartie ni création de valeur.

Mais ces dettes seront étalées dans le temps. Les entreprises vont vivre ce que vivent les agriculteurs depuis des décennies : des prêts pour faire face aux coups durs, et des étalements et rééchelonnements quand elles n’arrivent plus à rembourser. Des dispositifs d’exception sont en train d’être imaginés avec des prêts participatifs.

Surtout que les épisodes de confinements sont en train de se succéder, avec comme contrepartie, des injections de liquidités : malheureusement à la manière des drogues dures, l’addiction est forte, et il sera impossible de rembourser ces sommes qui viendront couvrir plusieurs mois de non activité quand on sait que la marge bénéficiaire des entreprises et souvent réduite n’atteint souvent que 1 ou 2% du chiffre d’affaires.

La dette a cet avantage de résoudre la difficulté à court terme sous l’angle de la trésorerie mais l’inconvénient de pousser le problème devant nous…

A la différence des États, les dettes des entreprises ne sont pas perpétuelles, même pour les plus grandes d’entre elles, car à chaque refinancement, l’entreprise est notée et ses bailleurs de fonds analysent la situation pour accepter ou pas un renouvellement avec des conditions nouvelles (les « covenants »).

Les actionnaires des sociétés trop endettées, surendettées parfois, en mal de trésorerie ont vu leurs entreprises se trouver dans l’angle mort du PGE et ne pas en obtenir si l’endettement n’était pas réduit : les restructurations de dettes se sont faites par des triangulaires qui ont vu les actionnaires être dilués au profit de leurs créanciers qui ont converti une partie de la dette en capital, permettant ainsi des déblocages de PGE.

La dette des entreprises se transforme de plus en plus en capital, et c’est sa seconde vie aujourd’hui grâce à des « covenants » de plus en plus draconiens.

Les États sont en train de mobiliser leurs capacités budgétaires maintenant, cela signifie que dans le futur, ils chercheront à faire des économies.

La véritable question sera : comment créer davantage de valeur qu’avant pour faire face à ce surcroît de dette qui n’aura pas été contractée précisément pour de la croissance.

C’est injuste, mais c’est la réalité.

La facture finale des PGE ne sera pas tant la mobilisation des ressources qui vient des banques centrales mais davantage la sinistralité observée sur ces prêts : celle-ci est estimée entre 5 et 10% des sommes mobilisées, soit 6 à 12 milliards d’euros …

Dans la pratique pour diminuer la sinistralité, le gouvernement est déjà en train d’imaginer la consolidation de ces prêts en prêts participatifs, étalés sur une longue période.

L’avantage c’est que ces sommes seront considérées comme des fonds propres, l’inconvénient c’est que ces sommes sont à rembourser …

On va améliorer une situation sans toutefois atteindre l’objectif d’accroître les fonds propres durs. Cela passera par le « fléchage » d’une (petite) partie de l’épargne des français qui lassés de recevoir des rendements négatifs, mettront peut être 5% de leur épargner dans des fonds de capital développement, comme l’on faisait sur l’or.

A juste raison, BPI France vient de lancer le fonds BPI Entreprises 1 (cela veut dire qu’il y en aura plusieurs) à destination des particuliers.

IHEGC – Arnaud Marion

21 octobre 2020